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TVA et subventions complément de prix ou les errements de la jurisprudence

Pour mémoire, aux termes de l’article 256 du Code Général des Impôts la base d’imposition de la TVA est constituée par « toutes les sommes, valeurs, biens ou services reçus ou à recevoir par le fournisseur ou le prestataire en contrepartie de ces opérations, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations ».

Par « directement liée au prix » il faut se rapprocher des arrêts rendus par la CJUE notamment par la décision de principe CJUE, 8 mars 1988, aff. C-102/86, Apple and Pear developpment Council  selon  laquelle pour déterminer si une somme doit être incluse dans l’assiette de la taxe il faut qu’il y ait un lien direct entre cette somme et une opération susceptible d’être taxée.

Dans un arrêt en date du 29 octobre 2003, Communauté Urbaine de Lyon, le Conseil d’Etat considère, au travers de son rapporteur public, Gilles Bachelier, que « c’est seulement lorsqu’une subvention ne correspond pas à une prestation de service individualisable à la partie versante et qu’il n’y a pas de lien direct au sens de l’article 256 I, que se pose la question de savoir si elle peut être regardée comme un complément de prix taxable par référence à l’article 266 I a du CGI ».

En d’autres termes, et comme le rappelle l’Administration fiscale dans sa doctrine publiée au BOFIP sous le numéro BOI-TVA-BASE-10-10-10-20121115, afin de déterminer si une subvention est imposable à la TVA, il convient de rechercher :

  • Si le versement de la subvention est en réalité la contrepartie de la fourniture d’un bien ou d’un service. Dans ce cas il s’agit d’une « fausse » subvention et son montant est bien évidemment, comme toute contrepartie d’un bien ou d’un service, compris dans la base d’imposition à la TVA.
  • Ou si la subvention complète le prix d’une opération imposable.

Pour paraphraser la doctrine administrative, si la somme ne constitue ni la contrepartie d’une opération réalisée au profit de la partie versante ni le complément du prix d’une opération réalisée au profit d’un tiers, la subvention, l’aide ou le don n’est jamais imposable à la TVA.

La doctrine administrative a évolué dans sa définition de la notion de subvention complément de prix.

Sa première approche, fondée sur une analyse (trop) extensive voir erronée de la jurisprudence de la CJUE Office des produits wallons (CJUE 22 novembre 2001. Aff 184/00) a été modifiée en 2012, notamment sous la pression des instances représentatives des autorités organisatrices de transport public de voyageurs qui ont pointé à la fois l’insécurité juridique et fiscale dans laquelle était plongés les opérateurs mais également la contrariété de son interprétation avec les jurisprudences plus récentes de la CJUE.

Depuis le 15 novembre 2012, l’Administration a opéré un revirement de son approche de la subvention complément de prix.

Si avant cette date, il n’était « pas nécessaire que le montant de la subvention corresponde strictement à la diminution du prix du bien livré ou du service fourni. Il suffisait que le rapport entre celle-ci et la subvention, qui peut présenter un caractère forfaitaire, soit significatif », depuis le 15 novembre 2012, l’Administration considère au contraire que « la subvention doit être spécifiquement versée à l’organisme subventionné afin qu’il fournisse un bien ou effectue un service déterminé. Elle doit donc être identifiable comme la contrepartie d’une opération taxable et non versée globalement pour couvrir les coûts de l’organisme subventionné (il ne suffit pas que son versement permette indirectement à cet organisme de pratiquer des prix moins élevés) » et qu’en outre « les acheteurs du bien ou les preneurs du service doivent tirer profit de la subvention octroyée au bénéficiaire. En effet, il est nécessaire que le prix à payer par l’acheteur ou le preneur soit fixé de tel façon qu’il diminue à proportion de la subvention accordée au vendeur, laquelle constitue alors un élément de détermination du prix exigé. Ainsi une subvention ne saurait être qualifiée de complément de prix dès lors qu’elle n’est pas calculée de manière à couvrir spécialement l’insuffisance de recettes résultant de la tarification mais a pour objet de prendre en charge des coûts fixes et/ou variables ».

Cette nouvelle approche, en conformité avec la jurisprudence communautaire, nécessite dorénavant l’existence de critères très précis pour qu’une subvention puisse être qualifiée de subvention complément de prix par l’Administration fiscale.

La société TILOS, titulaire d’un contrat de délégation de service public avec la commune de Conflans-Sainte-Honorine pour l’exploitation d’un centre aquatique municipal a perçu pour les années contrôlées 2007 à 2009, des subventions de la part de la commune.

Aux termes du contrat de délégation, la société délégataire, percevait de la commune une participation forfaitaire annuelle compte tenu des contraintes de service public qui lui sont imposées. La commune fixait en effet les tarifs d’entrée, les horaires d’ouverture et imposait une animation adaptée à chaque usager avec mise en œuvre des moyens nécessaires en personnel ainsi que la surveillance et la sécurité des lieux.

Lors de la facturation de ces subventions à la commune la société a considéré que ces subventions devaient être soumises à la TVA.

Après analyse de ces subventions, la société a considéré qu’en réalité, ces subventions étaient situées hors du champs de la TVA car aucune des deux conditions rappelées en propos introductifs n’étaient respectées. Ces subventions ne représentaient pas la contrepartie d’un service rendu à la commune par la société délégataire et ne représentaient pas non plus le complément d’un prix payé par l’usager de la piscine.

Elle a donc sollicité par voie de réclamation contentieuse, le remboursement de la TVA collectée, selon elle, à tort.

Dans un jugement au considérant de principe sibyllin, le Tribunal Administratif de Versailles (TA Versailles, 16 février 2016, n°1100354) considère, au mépris des règles rappelées ci-dessus et sur le fondement erroné de la charge de la preuve, que la société n’apportant pas la preuve sur la contrepartie exacte de la participation versée par la commune, la somme ainsi versée devait dès lors être soumise à la TVA.

Or, comme le souligne Monsieur le rapporteur public dans ses conclusions devant la Cour Administrative d’Appel de Versailles (CAA Versailles, 3 octobre 2019, 16VE01073), cet argument des magistrats de 1ere instance devait au contraire jouer en faveur d’une non-inclusion des sommes versées dans la base d’imposition à la TVA.

Disons-le déjà, l’arrêt de la Cour Administrative d’Appel précité est tout aussi surprenant.

Malgré les conclusions remarquables de clarté de son rapporteur public, la Cour Administrative d’Appel innove, à l’instar du Conseil d’Etat dans sa jurisprudence Carilis (CE 10 juin 2010, n° 301 586) critiquée par la doctrine privée (et que le Conseil d’Etat classe lui-même en catégorie C c’est-à-dire sans intérêt jurisprudentiel marquant).

La Cour considère en effet que la somme versée par la Commune au Délégataire est la contrepartie des sujétions de service public imposées par la Commune à ce dernier sans pour autant démontrer l’existence d’un lien direct et immédiat entre la prestation rendue.

En considérant que la subvention versée entretien un lien avec les sujétions de services publics (notamment la tarification) imposées au délégataire au profit des usagers, elle la qualifie de subvention complément de prix au mépris de la définition donnée tant par la jurisprudence communautaire que la doctrine administrative.

Il serait rassurant que le Conseil d’Etat, s’il est saisi d’un pourvoi, saisisse l’occasion de revenir sur sa jurisprudence Carilis.

A défaut, cela entraînerait une insécurité juridique importante dans la détermination du régime de TVA applicable aux subventions versées par une autorité délégante à son délégataire, en général qualifiées de subvention d’équilibre et donc située hors du champ de la TVA.

 

Jérôme Lacourt

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12/02/2020