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TVA et prestations para-hôtelières : des conditions trop strictes contraires aux objectifs de la Directive ?

Le Tribunal administratif de Grenoble a jugé récemment que conditionner la taxation à la TVA des prestations d’hébergement à la réalisation d’un nombre déterminé de prestations para-hôtelières est incompatible avec la Directive TVA1.

Pour rappel, aux termes de l’article 135 de la Directive TVA :

  1. « Les États membres exonèrent les opérations suivantes : / (…) / l) l’affermage et la location de biens immeubles. /»
  2. « Sont exclues de l’exonération prévue au paragraphe 1, point l), les opérations suivantes : / a) les opérations d’hébergement telles qu’elles sont définies dans la législation des États membres qui sont effectuées dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire, y compris les locations de camps de vacances ou de terrains aménagés pour camper. / (…) ».

Il est de jurisprudence constante que les termes employés pour désigner les exonérations instituées par cet article sont d’interprétation stricte car elles constituent une dérogation au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de service effectuée à titre onéreux par un assujetti2.

En outre, la CJCE a déjà précisé que les exceptions à l’exonération applicable à la location de biens immeubles, se placent, elles, sous ce régime général et ne peuvent, par conséquent, recevoir une interprétation stricte3.

La Directive renvoie aux États membres le soin de définir ces exceptions mais la CJCE a toutefois indiqué que si ces derniers jouissent d’une marge d’appréciation, l’exception « trouve sa limite dans la finalité de cette disposition », qui est de distinguer le secteur hôtelier et les secteurs ayant une fonction similaire des opérations exonérées que sont la location et l’affermage de biens immeubles.

La Cour a également précisé que « l’emploi du critère de la fourniture d’un hébergement de courte durée, celle-ci étant définie comme étant inférieure à six mois, apparaît comme un moyen raisonnable de garantir que les opérations effectuées par des assujettis exerçant une activité semblable à la fonction essentielle remplie par un hôtel, à savoir fournir un hébergement temporaire dans le cadre d’un rapport commercial, soient imposées ».

Le législateur français a transposé ces dispositions à l’article 261 D, 4° du Code général des impôts qui prévoit que sont exonérées de TVA :

« Les locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d’habitation. Toutefois, l’exonération ne s’applique pas :

(…)

b. Aux prestations de mise à disposition d’un local meublé ou garni effectuées à titre onéreux et de manière habituelle, comportant en sus de l’hébergement au moins trois des prestations suivantes, rendues dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d’hébergement à caractère hôtelier exploités de manière professionnelle : le petit déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle ».

En l’espèce, la SARL Tetras exerçait une activité de location meublée saisonnière et fournissait dans ce cadre les prestations suivantes :

  • la fourniture du linge de maison moyennant le paiement d’un supplément de prix ;
  • l’accueil par le gérant correspondant uniquement à la remise des clés aux locataires et à la communication de son numéro de téléphone ;
  • des prestations de nettoyage uniquement en fin de séjour, moyennant le paiement d’un supplément de prix. Ce n’est qu’à compter de l’année 2019 que des prestations de nettoyage en continu était proposées aux locataires et que la société Tetras justifiait être en mesure de fournir de telles prestations.

La société estimait être assujettie à la TVA et avait, à ce titre, déposé depuis sa création en 2015 des déclarations de TVA.

A la suite d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a remis en cause l’assujettissement à la TVA de l’activité de location meublée de la SARL et partant, l’exercice du droit à déduction de la TVA d’amont supportée dans le cadre de cette activité.

Devant le Tribunal administratif, la société a notamment fait valoir que l’interprétation stricte des dispositions de l’article 261 D du CGI sont contraires aux objectifs de la Directive TVA en ce qu’elles sont trop restrictives en imposant la réalisation d’un nombre déterminé de prestations para-hôtelières.

Le Tribunal administratif s’est positionné en sa faveur en indiquant que les critères de taxation des prestations de locations de logements meublés, doivent être interprétées, au regard de la jurisprudence de la CJUE « de manière à garantir que ne soient exonérés du paiement de la taxe que des assujettis dont l’activité ne remplit pas la ou les fonctions essentielles d’une entreprise hôtelière et qui ne sont donc pas en concurrence potentielle avec ces dernières entreprises. La notion de secteur ayant une fonction similaire ne peut recevoir une interprétation stricte ».

En conséquence, selon le Tribunal, ne pas réaliser trois des quatre prestations visées par l’article 261 D du CGI ne permet pas d’écarter de manière certaine que l’opérateur n’entre pas en concurrence avec le secteur hôtelier.

Il a en outre indiqué qu’il existe actuellement un rapprochement entre le secteur hôtelier et la mise à disposition de locaux meublés et relevé que les entreprises du secteur hôtelier elles-mêmes ne sont pas soumises à un nombre de prestations définies pour entrer dans ce secteur.

Le Tribunal a donc jugé que les dispositions de l’article 261 D du CGI méconnaissent les objectifs de la directive en limitant excessivement la taxation à la TVA des prestations d’hébergement.

Selon lui, il convient seulement de procéder à une appréciation globale des circonstances de l’espèce, en tenant compte de l’ensemble des prestations accessoires citées par l’article 261 du CGI pour vérifier si elles sont en concurrence potentielle avec les prestations hôtelières.

Au cas particulier, le Tribunal reconnaît que deux des quatre prestations de services visées par l’article 261 D du CGI étaient rendues au cours de l’année 2019 (linge de maison et nettoyage en continu des locaux). Bien que le seuil légal ne soit pas atteint, il considère que les prestations d’hébergement entraient en concurrence avec celles du secteur hôtelier et étaient, par conséquent, soumises à TVA.

Il refuse toutefois de considérer qu’avant 2019 son activité entrait en concurrence avec le secteur hôtelier étant donné que seule une prestation de fourniture de linge de maison était assurée.

Cette décision est rationnelle au regard des objectifs de la directive TVA et de la profonde mutation que connaît le secteur de la location ces dernières années avec le développement de plateformes accentuant la concurrence entre la location meublée et les hôtels.

Cette problématique est d’ailleurs connue du législateur qui a tenté de l’appréhender dans le projet de loi de finances pour 2023 mais qui n’a pas été concrétisée à la suite de débats que l’on pourrait qualifier d’ubuesques.

Reste à savoir si cette position sera confirmée en appel puis par le Conseil d’État, ce qui devrait être tranché sous peu puisque des problématiques identiques lui ont été transmises récemment par la Cour administrative d’appel de Douai4. Il devra, en outre, se prononcer sur le cas spécifique dans lequel une seule prestation est rendue.

A noter que cette problématique pourrait prochainement être en partie tranchée par le droit de l’Union européenne.

En effet, le projet de directive VIDA (« VAT in the digital age ») prévoit de modifier l’article 135 de la directive TVA afin d’y ajouter le paragraphe suivant : « La location ininterrompue d’un logement pour une durée maximale de 45 jours, accompagnée ou non d’autres services accessoires, est considérée comme ayant une fonction analogue à celle du secteur hôtelier ».

Cela devrait donc aboutir à considérer la location de logements de courte durée comme un secteur similaire par sa nature au secteur hôtelier devant par conséquent être soumis à la TVA.

Il convient donc de rester très attentif aux évolutions jurisprudentielles et législatives qui devraient prochainement affecter le secteur de la location d’hébergement.

Si une telle analyse devait recevoir la validation du Conseil d’État, nous aurions certes un texte conforme à l’esprit de la Directive TVA mais cela devrait alors générer une réelle insécurité juridique.

 

1 Tribunal Administratif de Grenoble, 14 octobre 2022 n° 1908305, n° 2000291, n° 2001029

2 Cour de justice des Communauté européennes, arrêts du 15 juin 1989, Stichting Uitvoring Financiele Acties, 348/87 et du 11 août 1995, Bulthuis-Griffioen, C-453/93

3 Cour de justice des Communautés européennes, 12 février 1998 aff. 346/95, Elisabeth Blasi c/ Finanzamt Munchen

4 CAA Douai 2 mars 2023 n° 22DA01547

 

Julie DucerfJérôme Lacourt – Manon Grandperrin

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26/05/2023