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Imposition des revenus issus de participations dans des entités financières étrangères : précisions quant à l’assiette imposable

Les personnes physiques domiciliées fiscalement en France sont soumises à un mécanisme d’imposition automatique des revenus d’entités financières étrangères soumises à un régime fiscal privilégié, dont elles détiennent au moins dix pour cent des droits financiers ou des droits de vote (CGI, article 123 bis).

Ce régime se traduit pour une personne physique entrant dans son champ d’application par l’imposition à son niveau, à l’impôt sur le revenu, d’une quote-part des revenus réalisés par l’entité étrangère, déterminée à proportion de ses droits financiers dans l’entité, même si ces revenus ne lui sont pas effectivement distribués.

Les revenus ainsi réputés distribués sont soumis au prélèvement forfaitaire unique au taux de 30% (sauf en cas d’option globale pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu, auquel le revenu réputé distribué est taxé sans abattement de 40% et sur 125% de son montant).

Le fait générateur de l’imposition est situé le premier jour du mois suivant la clôture de l’exercice de l’entité ou, à défaut d’exercice, au 31 décembre de chaque année.

Eu égard à l’imposition d’un revenu réputé acquis indépendamment de son appréhension effective, la situation d’une personne entrant dans le champ d’application de l’article 123 bis du CGI pourrait être assimilée à celle d’un associé personne physique d’une société de personnes fiscalement translucide.

Cependant, s’agissant d’un dispositif de lutte contre les abus, l’article 123 bis du CGI prévoit des règles spécifiques pour la détermination de l’assiette imposable qui ne sont pas neutres.

La règle de principe repose sur la détermination du résultat de l’entité comme si celle-ci avait été soumise à l’impôt sur les sociétés en France, et de multiplier celui-ci par le pourcentage des droits financiers détenus dans l’entité par la personne concernée.

Toutefois, pour les entités localisées dans un État ou territoire n’ayant pas conclu avec la France de convention d’assistance administrative, l’article 123 bis-3 du CGI institue un revenu imposable plancher, déterminé de manière forfaitaire. Le revenu ne peut alors être inférieur au produit de la fraction de l’actif net, ou de la valeur nette des biens de l’entité, par un taux égal au taux maximum d’intérêt déductible des comptes courants d’associés (renvoi au taux prévu par l’article 39-1-3° du CGI, actuellement de 1,36%).

Le Conseil constitutionnel a validé cette règle de revenu plancher, en formulant toutefois une réserve d’interprétation selon laquelle le contribuable doit toujours pouvoir apporter la preuve que « le revenu réellement perçu par l’intermédiaire de l’entité juridique concernée » est inférieur au revenu forfaitaire plancher (Cons. Const. 1er mars 2017 n°2016-614 QPC).

La formulation retenue par le Conseil Constitutionnel qui vise le revenu « réellement perçu » par l’intermédiaire de l’entité a fait l’objet de discussions doctrinales, dans la mesure où son application littérale aurait conduit à vider le dispositif de l’article 123 bis de tout son sens.

Le Conseil d’État a récemment tranché ce point en précisant que la référence faite par le Conseil constitutionnel au revenu « réellement perçu par l’intermédiaire de l’entité » s’entend du revenu réellement réalisé par l’entité, et réputé distribué en application de l’article 123 bis du CGI (CE 9e-10e ch. 28-01-2019 n°407421).

Au-delà de cet important éclairage, l’affaire qui était soumise au Conseil d’État a suscité d’utiles précisions quant aux modalités de preuve admises par le juge pour démontrer que le revenu réellement réalisé par l’entité était inférieur au revenu plancher.

En l’espèce, les contribuables soutenaient que la société luxembourgeoise dans laquelle ils détenaient une participation avait réalisé un résultat déficitaire au cours des années litigieuses et que, par suite, l’application de la règle du revenu plancher devait être écartée.

Dans son premier arrêt, la cour administrative d’appel de Lyon avait jugé cet argument inopérant (CAA Lyon 01-12-2016 n°2016-614).

Le Conseil d’État a cassé l’arrêt de la cour pour erreur de droit, et lui a renvoyé l’affaire, l’invitant à rechercher si l’existence du déficit allégué par les contribuables était effectivement établie.

Or au cas particulier la cour a considéré dans l’arrêt de renvoi (CAA Lyon 5e ch. 25-07-2019 n°19LY00435) qu’une telle preuve n’était pas rapportée, estimant que les bilans de la société produits par les contribuables, qui faisaient effectivement apparaître un déficit au titre des années en litige, n’étaient pas accompagnés des différents documents comptables permettant d’en justifier l’exactitude.

Aux termes de l’arrêt, ces documents ne permettaient pas à l’administration de s’assurer de la réalité et de la sincérité des comptes présentés.


En particulier, la cour relève que l’administration a fait mention de plusieurs imprécisions et de difficultés pour reconstituer les comptes de produits, que les contribuables n’ont pas produit les relevés bancaires de la société concernée sur une partie significative de la période en litige, qu’une augmentation des liquidités de la société sur la période concernée n’avait donné lieu à aucune explication, et que la comptabilisation de la valeur des actifs a fait l’objet d’une justification insuffisante.

Il conviendra donc d’attacher une importance toute particulière à la constitution de la preuve du revenu réalisé par l’entité étrangère lorsqu’elle entre dans le champ de cette règle de revenu plancher.

On rappelle à cet égard que la portée de cette règle est non négligeable. En effet, elle trouve également à s’appliquer lorsqu’une convention existe entre la France et l’État de localisation de l’entité financière mais que cette entité ne bénéficie pas des avantages conventionnels en raison d’un statut fiscal particulier qui lui est conféré dans son pays d’établissement – à l’instar des décisions citées ci-dessus relatives à une société holding régie par la loi luxembourgeoise du 31 juillet 1929.

 

Léa Cupiti

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