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Amendement Charasse et action de concert : le Conseil d’État apporte des précisions

Certains dispositifs fiscaux sont plus connus que d’autres et le régime de l’intégration fiscale ne saurait se départir du célèbre « amendement Charasse » mis en place seulement quelques mois après l’entrée en vigueur de l’intégration fiscale en 1988.

Ce dispositif, dont on sait désormais qu’il ne revêt pas la nature de dispositif anti-abus mais de simple règles objectives destinées à éviter un cumul d’avantages fiscaux,[1] exclut la déduction d’une fraction des charges financières partant du principe qu’il n’est pas normal que le résultat d’ensemble soit affecté par la déduction de charges financières liées à l’acquisition d’une société qui devient membre du groupe si cette acquisition est effectuée auprès d’un actionnaire extérieur qui a le contrôle du groupe de manière directe ou indirecte.

En somme, de façon très synthétique, si une société s’endette pour racheter les titres d’une autre société alors que ces deux sociétés sont contrôlées par les mêmes personnes, une fraction des charges d’emprunt supportées pour financer l’acquisition doit être réintégrée au résultat du groupe intégré.

Par un arrêt « Mi Développement 2 » en date du 15 mars 2019, le Conseil d’État apporte des précisions intéressantes sur la notion de contrôle et surtout sur celle d’action de concert au sens de l’amendement « Charasse ».

Une société Trécobat était détenue par une personne physique directement et indirectement au travers d’une EURL dont ladite personne physique était l’associé unique.

La personne physique s’est associée à deux fonds communs de placement et à des cadres de la société Trécobat pour constituer un holding de reprise, la société Mi Développement 2. Pour financer l’acquisition de Trécobat par Mi Développement 2, un emprunt (bancaire ?) et un contrat d’émission d’obligations convertibles en actions ont été mis en place.

Lors d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a réintégré au résultat d’ensemble une fraction des charges financières sur le fondement de l’amendement Charasse estimant que l’opération se trouvait dans son champ d’application.

Tout d’abord, le requérant soutenait que l’amendement Charasse n’était applicable que lorsqu’il y avait une identité parfaite d’actionnariat entre la société cessionnaire et la société cédante. Le Conseil d’État s’est ici référé à sa propre décision du 1er février 2018 pour écarter rapidement ce moyen.

Il rappelle ensuite que le contrôle conjoint qui entraîne l’applicabilité de l’amendement Charasse implique la réunion de deux éléments : une action de concert et la détermination en fait des décisions prises en assemblée générale par les concertistes.

Pour définir l’action de concert, le Conseil d’État fait référence aux dispositions de l’article 233-10 du Code de Commerce qui nécessitent de démontrer trois éléments : l’existence d’un accord contraignant, la coordination dans l’acquisition ou la cession ou l’exercice des droits de vote de la société cible et la mise en œuvre d’une politique commune vis-à-vis de la société cible.

Le Conseil d’Etat approuve le raisonnement de la Cour Administrative d’Appel qui avait caractérisé l’action de concert au cas particulier.

En effet, elle avait relevé l’existence d’un pacte d’actionnaire entre les trois blocs d’actionnaires et ce pacte comportait des interdictions temporaires de cession pendant trois ans, sauf autorisation expresse des autres blocs.

Les deux premières conditions étaient donc remplies et une analyse a été menée pour déterminer si une politique commune avait été mise en œuvre vis-à-vis de la cible.

La Cour a ensuite relevé que ce pacte traduisait dans sa rédaction la volonté des parties de conduire une politique commune à l’ensemble des actionnaires centrée sur la pérennité de l’action de la société Trécobat.

A la lumière des conclusions de Monsieur Laurent Cytermann, rapporteur public, les clauses du pacte tendaient à la réalisation de cet objectif tout en assurant la stabilité de l’actionnariat et l’équipe dirigeante.

Il rappelle également qu’il ne faut pas confondre intérêt commun et politique commune comme l’écrivent les professeurs Schmidt et Rontechevsky : « on peut fort bien observer une divergence d’objectifs coexistant avec une politique commune. Il en va ainsi lorsque les partenaires s’allient non pour atteindre un objectif commun, mais pour permettre à chacun d’atteindre, grâce à l’accord, son objectif propre ».

 La cour avait également analysé les conditions de majorité prévues par les statuts de la société en relevant qu’elles conduisaient à l’accord des associés pour la prise de décision en assemblée générale (règles de majorité et de quorum prévues)

Le Conseil d’État confirme enfin que la notion d’action de concert peut être appréciée à la date de l’achat de la société cible et non en fonction de la politique commune effectivement suivie par la société cessionnaire.

La caractérisation de l’action de concert n’implique donc pas que la politique commune soit effectivement mise en œuvre par le cessionnaire.

Toutefois, rappelons que l’application de l’amendement Charasse implique la démonstration d’un contrôle conjoint c’est-à-dire de l’action de concert et que les personnes agissant de concert déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale.

Dans la mesure où l’existence du contrôle conjoint doit être établie au titre de chaque exercice, à défaut de quoi la réintégration des charges financières cesse, cette dernière condition devra faire l’objet d’une analyse précise au titre de chaque exercice.

Avec cette approche extensive de l’action de concert la fiscalité risque de conduire au remodelage des statuts et des pactes d’actionnaires des holdings de LBO.

 

Loïc BROISE

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[1] Décision n°2018-701 QPC du 20 avril 2018